Les blogues juridiques rendent-ils le droit accessible ? [Partie 2]

Ce billet est le 7e de la série consacrée à l’accès au droit et à la justice par les blogues. Dans le précédent, j’ai proposé des critères qui permettaient d’évaluer l’accessibilité des blogues d’un point de vue matériel, tandis qu’aujourd’hui je m’attarderai aux critères d’accessibilité cognitive.

Je poursuis donc la réflexion, mais cette fois en déplaçant un peu la question précédente: les blogues juridiques sont-ils intelligibles, sont-ils lisibles par un large public ? C’est l’une des grandes questions à poser à propos de l’accès au droit et à la justice, puisque l’intelligibilité du droit, des sources primaires et même secondaires, est au cœur des préoccupations du monde juridique depuis quelques décennies.

Les blogues juridiques sont-ils intelligibles, sont-ils lisibles par un large public ?

L’intelligibilité du droit est la grande affaire des juristes, législateurs, juges, vulgarisateurs, mais elle dépend également des capacités de compréhension du public visé, en particulier du niveau de littératie lorsque l’information est communiquée par écrit. Le niveau de littératie apparaît d’ailleurs comme la limite, indépassable, de l’accessibilité de l’information juridique. Autrement dit, quel que soit le degré d’accessibilité des blogues, il faut admettre qu’ils demeureront toujours inaccessibles à toute une partie de la population, la plus vulnérable sans doute. C’est pourquoi les blogues ne pourront s’avérer utiles et pertinents qu’en compléments à la panoplie de mesures existantes pour répondre aux besoins de droit de populations diversifiées.

Cela étant dit, et en restant en deçà de la limite que posent alphabétisation et fracture numérique, les blogues sont des contenus numériques dont la lisibilité est soumise à une contrainte particulière : celle de la lecture à l’écran. La lisibilité des blogues doit donc s’entendre aussi bien de la lisibilité du texte que de l’intelligibilité de l’information.

La lisibilité des textes publiés sur les blogues

La rédaction de contenu pour le web est aujourd’hui un métier exercé par des spécialistes qui savent que la pire des choses à faire est de mettre en ligne un texte que l’on aurait simplement copier-coller d’un document écrit pour être imprimé. Leur but est précis : attirer et retenir le lecteur, en réalité un client potentiel, qui navigue sur un océan d’informations qu’il ne pourra jamais totalement parcourir, faute de temps et de capacité cognitive.

Les conseils et stratégies communément partagés par les rédacteurs web visent donc à rendre la lecture la plus agréable et facile possible afin de limiter le décrochage du lecteur avant la fin du texte. Et, comme l’écrit une spécialiste du domaine, ce qui est bon pour les lecteurs est bon pour les moteurs [de recherche], c’est-à-dire pour la visibilité sur Internet de ceux qui produisent du contenu (rappelez-vous la question du référencement évoquée dans le précédent billet).

Or, le citoyen en quête de réponses juridiques sur Internet n’est pas dans une situation très différente de celle du consommateur à qui l’on vante les mérites d’un produit. C’est pourquoi j’ai demandé aux juristes blogueurs à quelle fréquence ils respectent plusieurs des critères d’une bonne rédaction pour le web quand ils écrivent sur leur blogue. À cet égard, je me suis appuyée en grande partie sur l’ouvrage de Isabelle Canivet, Bien rédiger pour le Web de 2017.

Ci-dessous, j’expose les faits saillants du sondage adressé aux blogueurs au sujet de leur prise en compte des critères de lisibilité suivants :

  • Utilisation de titres et sous-titres
  • Police de caractère lisible
  • Utilisation de caractères gras
  • Absence de justification du texte
  • Aération des paragraphes
  • Lecture optimisée pour téléphones et tablettes
  • Utilisation d’illustrations visuelles

Utilisation de titres et sous-titres

Cette pratique consiste à utiliser des caractères plus gros que ceux des paragraphes de texte, en gras et éventuellement dans une autre police de caractère, afin de faciliter le balayage visuel de la page. Selon Isabelle Canivet, les sous-titres redonneraient une impulsion à l’article en motivant le lecteur en perte d’attention.
Les juristes blogueurs qui jouent habituellement sur les titres et sous-titres pour structurer leurs billets sont largement les plus nombreux. 13% seulement des répondants s’en soucient peu. Cette structuration hiérarchisée et apparente des textes fait d’ailleurs écho à la méthode de rédaction des textes législatifs et judicaires que les juristes acquièrent durant leur formation.

Police de caractère lisible

La lisibilité de la police de caractère dépend de plusieurs facteurs dont son caractère standard, de la présence ou non d’empattements, de la taille de la police, et diffère largement du papier à l’écran.
Les répondants se soucient quasiment tous (96%) de la lisibilité de la police de caractère qu’ils emploient pour rédiger les billets de leur blogue. C’est donc un très bon point pour leurs lecteurs.

Utilisation de caractères gras

Là encore, il s’agit d’attirer le regard du lecteur qui pourra repérer rapidement l’information qu’il cherche. À condition toutefois que la mise en gras concerne des termes positifs, des actions ou encore des mots-clés et qu’il en soit fait un usage modéré afin de ne pas nuire à la lisibilité.
Attirer l’attention du lecteur par la mise en gras de mots clés ne fait pas partie de la pratique habituelle des blogueurs. Les répondants au sondage sont rares à en faire usage très souvent ou souvent.

Absence de justification du texte

Personnellement, je déteste les textes non justifiés, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas alignés à gauche et à droite. Il faut croire que j’aime les blocs…

Je ne suis pas la seule puisque la majorité des juristes blogueurs justifient leurs textes. Et pourtant, « même si le texte justifié semble a priori plus esthétique, le texte en drapeau, par sa dissymétrie, aide l’œil à trouver des repères sur les fins de ligne et facilite la lecture sur écran » explique Isabelle Canivet.

Aération des paragraphes

Dans ce domaine, les juristes blogueurs sont très à l’aise à aérer les paragraphes puisque les ¾ des répondants disent le faire toujours ou très souvent.

Les puces facilitent la lecture en attirant l’œil et favorise la mémorisation des éléments listés, pourvu qu’ils soient peu nombreux. C’est une façon d’éviter la rédaction de bloc de textes dans lesquels seraient noyés les points importants. Selon Isabelle Canivet, la liste met donc en valeur les éléments de l’énumération et allège la page qui peut ainsi facilement être balayée du regard. Malheureusement, moins de la moitié des juristes blogueurs font un usage régulier des puces.

Lecture optimisée pour téléphones et tablettes

La lecture sur un téléphone serait 2 fois plus difficile que sur un ordinateur. En effet, en raison de la taille de l’écran et de la nécessité de faire défiler le texte, la mémorisation et l’attention en seraient diminuées. C’est pourquoi il est important de s’assurer que le blogue respecte un design adapté aux appareils mobiles, en particulier un affichage et un ajustement qui permettent une lisibilité sur un écran beaucoup plus petit que celui d’un ordinateur.

Cet enjeu de lisibilité paraît d’autant plus important aujourd’hui que, selon le portrait numérique des foyers québécois : « en 2020, le téléphone intelligent est l’appareil privilégié des adultes âgés de 18 à 44 ans pour accéder à Internet, que ce soit à la maison ou ailleurs. C’est en effet 69 % des 18-24 ans, 73 % des 25-34 ans et 56 % des 35-44 ans qui utilisent le plus souvent leur cellulaire pour accéder à Internet à la maison ou ailleurs. Chez les adultes âgés de 55 ans et plus, on privilégie plutôt l’ordinateur et la tablette. ».

Or, bonne nouvelle : le sondage que j’ai réalisé montre que la grande majorité des juristes blogueurs s’assure que leurs billets sont optimisés pour la navigation mobile.

Utilisation d’illustrations visuelles

Sans surprise, l’utilisation d’images permet d’attirer et de retenir le regard, pourvu que l’image soit en relation avec le contexte du texte, qu’elle soit facile à interpréter. Or, pour m’y essayer parfois, il peut sembler décourageant de trouver une image qui illustre le propos du billet, qui plus est gratuite et libre de droits et au format qui convient à l’insertion sur un blogue !

Cette pratique fort répandue dans d’autres domaines s’intègre péniblement dans les blogues juridiques.

À l’heure actuelle, les juristes qui illustrent leurs billets avec des images ou infographies sont peu nombreux (73% ont répondu jamais, rarement ou parfois au sondage).

L’intelligibilité de l’information publiée sur les blogues

Il ne suffit pas de capter et retenir l’attention visuelle du lecteur du billet, encore faut-il lui délivrer un message qu’il soit en mesure de comprendre.
Les juristes blogueurs ont été sondés à propos de 3 critères qui ont un lien avec la compréhension du texte:

  • L’utilisation d’un langage clair ou simplifié
  • La définition des termes juridiques
  • Des billets d’une longueur d’environ 1000 mots

L’utilisation d’un langage clair ou simplifié

Le langage clair en droit est une façon de communiquer le droit efficacement, ce qui implique la rédaction de textes (y compris de doctrine) selon les principes de la communication efficace. Il ne s’agit pas de vulgariser l’information juridique. Si la vulgarisation juridique s’appuie sur le langage clair, elle s’en distingue par son objectif qui est d’expliquer le droit. Contrairement au langage clair, la vulgarisation perd en précision et en nuances ce qu’elle gagne en simplicité.

L’écrasante majorité des répondants dit utiliser un langage clair ou simplifié (70% toujours et 12% très souvent).

La définition des termes juridiques

Puisque l’un des reproches fait au droit, et aux juristes, est d’utiliser un vocabulaire technique incompréhensible au profane, la définition des termes employés paraît ¸être un minimum pour que l’information juridique soit intelligible, donc accessible.

La pratique des juristes blogueurs n’est pas homogène en ce domaine puisque 40 % définissent toujours ou très souvent les termes juridiques, tandis que 40 % le font souvent ou parfois.

Des billets d’une longueur d’environ 1000 mots

Pour ce qui est de la longueur des billets, il n’y a pas de véritable règle dans la mesure où l’objectif premier est de traiter correctement la question qu’on a choisie. Un texte trop court en dira trop peu et un texte trop long en dira peut-être trop ou dans un style qui manque de concision.

1000 est le chiffre que j’ai choisi car c’est la longueur moyenne que j’avais pu observer lors de ma précédente recherche. C’est une longueur qu’il semble ne pas falloir dépasser lorsqu’on s’adresse à des non-initiés afin de ne pas rendre la lecture trop exigeante. Cependant, d’un point de vue purement marketing sur le web, il faut savoir que les textes longs (autour de 2000 mots) ont la faveur du moteur de recherche Google qui aura tendance à mieux les référencer.

S’approcher de 1000 mots fait partie des préoccupations de la moitié des répondants au sondage. L’autre moitié est constituée de blogueurs qui se répartissent équitablement entre ceux qui respectent souvent, parfois ou jamais cette longueur.

Conclusion 

Le respect des règles de rédaction web contribue à rendre le contenu des blogues accessible. L’écriture en langage clair, l’usage de termes simples et d’un glossaire juridique, l’accessibilité du contenu à partir d’appareils mobiles, sont autant de recommandations expresses pour l’accès à l’information juridique du public. On les retrouve en effet dans le guide de bonnes pratiques pour la vulgarisation et l’éducation juridique du public élaboré par l’équipe de Clicklaw, un site consacré à l’accès à l’information juridique pour le public de la Colombie-Britannique.

De plus, comment ne pas évoquer ici les conseils prodigués par les experts en marketing juridique ? Depuis plusieurs années, les blogues sont devenus des outils parmi d’autres de marketing de contenu en ligne. Ils sont conçus pour générer du trafic sur le site web de cabinets d’avocats et autres praticiens, vendre leurs services, mais aussi renforcer et mettre en évidence leur crédibilité d’experts d’un domaine tout en répondant aux besoins d’information du public cible.  La lisibilité et l’intelligibilité des textes font partie des recommandations les plus courantes. (On peut voir des exemples ici, , ou encore par là.)

Enfin, il faut se souvenir que les juristes, en particulier ceux qui ont répondu à mon sondage, ne bloguent pas avec l’intention de rendre le droit accessible à un large public comme le font les blogues d’Éducaloi ou le Blogue d’Alex. Leurs stratégies de communication, pour 2/3 des répondants, s’adressent avant tout à leurs clients, actuels ou potentiels qui demeurent des non-initiés en droit. De fait, le souci de leur rendre les billets accessibles profite à un public qui ne cherche pas nécessairement les services d’un professionnel du droit, mais plutôt de l’information. Ainsi, si certains ont l’intention de s’adresser à un large public en écrivant leurs billets (40% des répondants) c’est un total de 80% des répondants qui communiquent l’information d’une façon qui profite à un large public.

Pour toutes ces raisons, il est raisonnable de considérer que les blogues juridiques ont le pouvoir, actuel ou futur, de rendre le droit plus accessible.

En effet, au terme de ces 3 billets consacrés à l’étude des critères d’accessibilité de l’information juridique, il apparait que les blogues répondent assez largement à ces critères et se qualifient donc très bien comme outils de diffusion d’une information juridique en ligne de qualité.

Le fait que l’information véhiculée par les blogues demeure très éclectique, impersonnelle, souvent en lien avec l’actualité, qualifie les blogues bien davantage au titre d’une certaine forme d’éducation juridique du public qu’à titre de ressource pour répondre à des questions pratiques individuelles. C’est ce que je chercherai à explorer dans un prochain billet.

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