Ceci est le premier billet d’une série que je consacrerai à l’accès au droit et à la justice par les blogues juridiques.
J’aimerais partager le fruit, pas encore tout à fait mûr, des recherches et réflexions que je mène dans le cadre du projet de recherche subventionné que la Fondation du barreau du Québec. Il consiste à cerner dans quelle mesure les blogues juridiques participent, ou sont susceptibles de participer, à un meilleur accès au droit et donc à la justice.
Tout en éclairant la contribution des blogues juridiques à la connaissance, aux transformations et à la critique du droit, j’ai soutenu le caractère parfois doctrinal des blogues juridiques et n’ai pas manqué de souligner la reconnaissance officielle de cette source secondaire du droit par les plus hauts tribunaux canadiens.
Aujourd’hui, mon attention se porte davantage sur les blogues des avocats et autres praticiens qui diffusent depuis longtemps quantité d’informations juridiques grâce à ce support singulier.
En effet, il me semble pertinent de faire le lien entre ce partage d’informations juridiques à destination d’un assez large public et les préoccupations actuelles en matière d’accès au droit, qui en font un préalable indispensable à l’accès à la justice.
À ma connaissance les blogues juridiques n’ont toutefois encore jamais été envisagés regardés sous l’angle de l’accès au droit. J’espère ainsi compléter, par ma modeste contribution, les actuelles pistes de recherches sur l’accès au droit, en particulier celles qui ont été balisées par l’ADAJ et ses 22 chantiers sur l’accès au droit et à la justice.
La question de l’accès au droit par les blogues juridiques s’inscrit dans celle, plus large, de l’accès à l’information juridique disponible en ligne. Or, il faut le dire, dans la masse considérable de travaux, études, rapports existants, très peu ont porté sur l’information juridique en ligne.
Dans le mouvement pour l’accès libre au droit, les sources primaires puis secondaires du droit canadien ont été rendues accessibles librement et gratuitement, notamment grâce à CanLII. L’accès au droit étant cependant un projet plus ambitieux, on a rapidement fait valoir qu’il ne suffit pas de disposer de l’information juridique, encore faut-il la comprendre. La question de l’intelligibilité du droit a alors été soulevée et les efforts se portent aujourd’hui essentiellement sur la vulgarisation de l’information juridique, l’utilisation d’un langage clair, et sur l’éducation juridique.
La récente Enquête sur l’accessibilité et la confiance envers le système de justice québécois réalisée par Cefrio pour le Ministère de la justice du Québec (en 2019, actualisée en 2020) apporte un certain éclairage sur l’accessibilité à l’information juridique sur Internet. On y apprend que :
- Pour les répondants, le premier reflex pour combler un besoin d’information juridique est de consulter des sites Internet d’information juridique, avant la consultation d’un professionnel du droit.
- Pour 68% cette information en ligne est facile à trouver
- Pour 74%, elle est utile
- Mais pour 51% seulement elle est facile à comprendre
La question de l’intelligibilité de l’information juridique est donc d’une grande actualité.
On observe par ailleurs que le recours à Internet pour trouver de l’information juridique expose les citoyens à la mésinformation, danger pointé par le juge en chef Wagner en même temps qu’il faisait du manque d’information le 3e obstacle à l’accès à la justice. Le rapport Cromwell soulignait déjà la difficulté pour les justiciables d’identifier les informations pertinentes, fiables et à jour.
Or, il me semble que les blogues juridiques offrent déjà des réponses à toutes ces questions.
J’observe que des centaines de juristes canadiens publient des billets de blogue pour présenter, expliquer ou commenter des points de droit. Cette information me semble précieuse car elle est :
- Librement et gratuitement disponible sur Internet
- Souvent vulgarisée ou simplifiée
- Publiée dans un format accessible
- Transmise par des juristes compétents
- Porte généralement sur des questions d’actualité qui préoccupent les justiciables.
Pourtant, les blogues juridiques ne sont pas considérés comme des outils d’accès au droit, ni par les blogueurs qui poursuivent leurs propres objectifs, ni par les organismes publics ou communautaires d’accès au droit et à la justice qui ignorent, dans une large mesure, l’existence des blogues.
Pourquoi ?
C’est que je cherche à savoir et à comprendre en interrogeant les juristes québécois sur leur pratique du blogging et les organismes d’accès au droit sur leur utilisation des blogues. Un questionnaire va leur être soumis prochainement. J’ose espérer que les données ainsi récoltées permettront d’enrichir et de préciser mes hypothèses.
En attendant, la notion même d’accès au droit, les critères d’accessibilité, le potentiel d’éducation et de vulgarisation, l’apport du marketing juridique sont autant de questions qui vont m’occuper.