Ce 6e billet de la série consacrée à l’accès au droit et à la justice continue de faire état des premiers résultats de mon étude empirique des blogues juridiques québécois. Mon angle d’approche est étroit puisqu’il portera sur les critères d’accessibilité de l’information juridique en ligne, en particulier l’accessibilité des blogues. Pour aborder cette question, j’entends partir des critères d’accessibilité précédemment dégagés, pour les transposer à la situation particulière des blogues juridiques. Cet exercice est nécessairement exploratoire et sera complété grâce aux résultats des sondages réalisés auprès des juristes blogueurs et des organismes qui œuvrent en matière d’accès au droit et à la justice.
L’accessibilité de l’information juridique diffusée sur les blogues juridiques dépend de critères d’ordre matériel mais aussi d’ordre cognitif. J’ai donc distingué l’accessibilité matérielle de l’accessibilité cognitive. Ayant beaucoup à partager sur le sujet, la première partie de ce billet se limitera aux critères de l’accessibilité matérielle. La seconde partie abordera l’accessibilité cognitive.
Pour pouvoir dire que les blogues sont accessibles, matériellement parlant, plusieurs critères doivent être pris en considération : l’accès à Internet, la gratuité de l’accès à l’information, la langue et les domaines du droit abordés et enfin la visibilité des blogues. Je ferai quelques observations sur chacun de ces critères.
Accès à Internet
Les blogues étant par nature des créations d’Internet et disponibles uniquement en ligne, l’accès à leur contenu dépend de l’accès à Internet, que ce soit via un ordinateur, une tablette ou un téléphone intelligent.
De ce point de vue, l’accessibilité des blogues juridiques paraît très bonne puisque selon le portrait numérique des foyers québécois dressé à la fin de l’année 2020 par l’académie de la transformation numérique:
- 97 % des foyers québécois ont un accès Internet à la maison
- 86 % des québécois possèdent un ordinateur et 81 % un téléphone intelligent
- et surtout 93 % des adultes québécois utilisent Internet quotidiennement (85% plusieurs fois par jour)
Les ainés québécois aussi sont plutôt bien connectés, puisqu’en 2020 :
- 82 % étaient branchés à Internet à la maison,
- 74 % disent utiliser Internet quotidiennement.
- Cependant que leur utilisation d’Internet vise essentiellement à consulter les actualités (54%) et beaucoup moins à consulter les réseaux sociaux (38%).
Gratuité
L’information juridique publiée sur les blogues est totalement gratuite. Il n’existe pas, à ma connaissance, de blogue (juridique ou non) dont l’accès serait payant ou accordé sous condition.
L’accès à Internet peut quant à lui être gratuit lorsqu’il est réalisé à partir d’ordinateurs publics tels que ceux disponibles dans les bibliothèques publiques (hors pandémie), ou encore grâce aux réseaux publics comme ZAP qui permettent aux utilisateurs d’apapreils électroniques d’accèder gratuitement au web par une connexion wifi.
Du point de vue du coût d’accès, les blogues juridiques sont donc parfaitement accessibles.
La langue de l’information
La langue de publication de l’information juridique est peu accessible aux anglophones.
En effet, sur 99 blogues québécois répertoriés en janvier 2021 sur Juris Blogging, 13 publient seulement en anglais. 23 publient des billets en français et des billets en anglais et la très grande majorité publient uniquement des billets en français, soit 63 blogues francophones unilingues. À vrai dire, très rares sont les blogues à publier à la fois une version anglaise et une version française du même billet.
On peut se demander ce qui détermine la langue dans laquelle les billets sont publiés. À cette question, posée dans le sondage qui leur était adressé cet hiver, les blogueurs québécois ont répondu majoritairement que c’est le public visé qui est déterminant. Quant à la maîtrise de la langue, elle l’est pour un peu plus d’un tiers des répondants.
Ce manque d’accessibilité de l’information juridique pour les personnes anglophones vivant au Québec serait à rapprocher des résultats de l’enquête sur l’accessibilité et la confiance envers le système juridique québécois (p. 78) qui montrent que les anglophones (64%) forment l’un des groupes les moins susceptibles de consulter un site Internet d’information juridique.
Domaines du droit traités dans les blogues
Les blogues peuvent faciliter l’accessibilité de l’information juridique dans certains domaines bien représentés dans la blogosphère, ou au contraire, contribuer à laisser dans l’ombre des pans entiers du droit.
Voici le top 5 des domaines du droit les plus représentés dans les 99 blogues juridiques répertoriés sur Juris Blogging au début de l’année 2021 :
1- Droit des affaires, des entreprises et droit commercial
Ce sont les plus représentés dans la blogosphère québécoise avec un total de 22 blogues dans l’une de ces spécialisés.
2- Droit civil, de la famille, des successions, et droit notarial (19)
3- Tous les domaines (13)
Ces blogues généralistes publient des billets sur de multiples domaines du droit en fonction de l’actualité.
4- Droit criminel ou pénal / droit immobilier (8)
En 2021, 8 blogues traitent spécifiquement de droit criminel et pénal. 8 blogues également portent sur le droit immobilier
5- Travail (5)
Les autres domaines du droit, moins bien représentés, sont notamment le droit de l’immigration (4), de la procédure civile (4), de la santé (3) et le droit administratif (2).
La visibilité des blogues
Dans une optique d’accès au droit, la visibilité des blogues est d’autant plus importante que, d’après l’enquête sur l’accessibilité et la confiance envers le système juridique québécois (p. 78), le premier réflexe des citoyens québécois pour combler un besoin d’information juridique est de consulter Internet.
Or, l’enjeu majeur pour l’information juridique publiée sur Internet est sa visibilité, qui se cristallise aujourd’hui dans la question bien connue de la rédaction et du marketing web : celle du référencement.
C’est le « nerf de la guerre pour tout blogue », m’expliquait la responsable marketing et communication d’un cabinet d’avocats montréalais. Avec le référencement naturel, il s’agit, pour un site ou un blogue, d’être bien positionné dans les résultats proposés par les moteurs de recherche (pour ne pas dire Google, moteur de recherche le plus utilisé par les internautes et dont le positionnement en première page des résultats est extrêmement prisé par les auteurs/diffuseurs de contenu sur le web).
Le référencement de sites internet relève de l’expertise de professionnels (experts SEO, responsables marketing et communication) même si plusieurs outils sont accessibles aux amateurs qui peuvent également mettre en pratique certains conseils, guides ou stratégies partagés par les experts.
Les résultats du sondage que je leur ai adressé indiquent que la grande majorité des juristes blogueurs n’a pas suivi de formation ou fait appel à un conseiller en marketing pour la conception de son blogue. On constate d’ailleurs que les blogueurs du droit ne sont guère familiers avec les indicateurs statistiques propres aux sites web : presque la moitié ignorent par exemple l’origine du trafic sur leur blogue. Les rares répondants ayant affirmé avoir fait appel à des services de marketing web pour la conception du blogue sont généralement des institutions de moyenne ou grosse taille, telles Soquij.
La question du référencement des blogues est véritablement un enjeu pour l’accès au droit pour 2 raisons.
Tout d’abord, parce que la première source de trafic sur les blogues provient des moteurs de recherche, devançant largement le trafic en provenance de liens directs, des médias sociaux ou des infolettres. En effet, sur l’ensemble des répondants qui connaissaient l’origine du trafic sur leur blogue, pr`s de 70% ont indiqué les moteurs de recherche comme en étant la 1re source.
Ensuite, parce que les blogues juridiques sont généralement très peu visibles, les répertoires de blogues (lawblogs.ca et Juris Blogging), sont méconnus aussi bien des juristes que du grand public. Pire, la moitié des juristes blogueurs disent ignorer si leur blogue figure dans l’un des répertoires cités. De plus, tel que mentionné dans mon précédent billet, les blogues juridiques ne sont pas, ou fort rarement, une ressource vers laquelle les citoyens sont invités à se tourner : ils ne font pas partie des ressources informationnelles répertoriées par les sites d’accès au droit et à la justice et les organismes publics ou communautaires ne les conseillent que rarement aux citoyens.
Par conséquent, c’est le plus souvent en effectuant une recherche précise sur Internet qu’un citoyen pourra accéder à l’information contenue sur un blogue juridique. Ce sera beaucoup moins souvent via un lien direct ou l’infolettre destinée aux clients.
À cet égard, il est intéressant d’observer que les blogues dont le trafic provient essentiellement de l’infolettre, de liens directs ou encore des médias sociaux sont des blogues qui ne s’adressent pas à un large public, mais plutôt à un lectorat de niche.
Le blogue d’Edilex, tenu par des experts en rédaction de contrats complexes pour les organismes publics et municipaux, en est un bon exemple. La première source de son trafic est son infolettre car le blogue vise à informer les clients d’Edilex de l’actualité législative et règlementaire, des changements importants qui vont affecter leurs activités. Il vise également des clients potentiels en rendant visible l’expertise d’Edilex en gestion contractuelle. Le blogue A bon droit illustre lui aussi, à sa manière, la moindre importance du référencement. En effet, si les moteurs de recherche sont la 3e source de trafic sur le blogue, derrière les médias sociaux et les liens directs, c’est probablement parce que le blogue est consacré à des analyses de jurisprudence, et que s’il peut naturellement atteindre un large public, son auteur vise tout de même un public d’initiés tels que les avocats et les juges.
Conclusion
Ces observations sur les critères matériels de l’accessibilité des blogues juridiques apportent quelques éléments de réponse nuancés à la question objet de ce billet.
L’hypothèse de départ de ce travail, selon laquelle les blogues juridiques sont largement accessibles à un large public et permettent l’accès à une information juridique de qualité et gratuite, se vérifie ici aisément.
Cela dit, les anglophones disposent de peu de ressources grâce aux blogues. De plus, les domaines du droit couverts sont mal répartis. Ce sont les dirigeants d’entreprises et les gens qui se lancent en affaires qui bénéficient le plus des informations publiées sur les blogues.
Enfin, le manque de visibilité des blogues juridiques apparaît comme le plus gros obstacle à l’accessibilité matérielle de l’information qui y est publiée. Il est évident que ce point doit attirer l’attention des blogueurs. Bien qu’ils ne cherchent pas en priorité à rendre le droit accessible mais plutôt à démontrer leur expertise pour attirer à eux de nouveaux clients, les deux objectifs sont soumis aux mêmes exigences de visibilité du contenu. Ce faisant, travailler à améliorer la visibilité c’est aussi travailler dans le sens d’un meilleur accès.
Il ne faut cependant pas oublier que la question de l’accessibilité comprend aussi la capacité de lire et comprendre du public qui a accès aux blogues. Il faut donc évaluer l’accessibilité des blogues à l’aune de critères en lien avec cette exigence. Ce sera l’objet du prochain billet.
One thought on “Les blogues juridiques rendent-ils le droit accessible ? [Partie 1]”