Le présent billet est le 5e de la série consacrée à l’accès au droit et à la justice par les blogues ( il aurait dû porter sur l’accessibilité à l’information juridique diffusée sur les blogues juridiques qui sera finalement traitée dans un prochain billet)
Dans le cadre du projet sur le rôle des blogues juridiques dans l’accès au droit et donc à la justice, j’ai identifié, dès le début, deux grandes questions auxquelles il me semblait pertinent de répondre. Premièrement, ces organismes ont-ils un blogue sur lequel leurs membres publient des informations juridiques en lien avec les consultations réalisées au sein de l’organismes ? Deuxièmement, les membres de ces organismes ont-ils recours aux blogues juridiques, non seulement pour s’informer et répondre aux questions des citoyens mais aussi pour conseiller à ces citoyens des ressources informationnelles.
Il est possible de répondre à ces questions, mais en partie seulement, en observant leur site internet et en consultant leur rapport annuel lorsqu’il est accessible. Pour compléter ces observations préliminaires, j’ai conçu un sondage dans l’espoir de pouvoir mieux comprendre leurs pratiques. Je cherchais, notamment, à savoir pourquoi les membres de l’organismes ne consultent pas ou ne conseillent pas les blogues juridiques, ou encore pour quelles raisons l’organisme n’aurait pas son propre blogue.
Le sondage a été adressé aux 11 centres de justice de proximité, aux 11 centres communautaires juridiques régionaux et à la commission des services juridiques, ainsi qu’à 13 cliniques juridiques universitaires ou communautaires (La Clinique juridique Mile-End, la Clinique juridique Juripop, la clinique juridique de l’Uqam; Justice Pro Bono, la clinique juridique du centre québécois de droit de l’environnement, la clé de vos droits, la clinique de médiation et la clinique entrepreneuriale de l’université de Sherbrooke, la clinique juridique des Townshippers, la clinique juridique de McGill, la clinique juridique de Saint-Michel, la clinique juridique Hochelégal).
Je remercie tous les directeurs de ces organismes ou ceux parmi leurs membres qui ont pris le temps et la peine de répondre au sondage, je leur suis d’autant plus reconnaissante qu’ils n’ont pas été très nombreux à contribuer à cette petite enquête (15 au total).
Si les réponses au sondage n’ont pas encore été analysées dans leurs moindres détails (je garde en effet le meilleur pour l’article final 😊), un aperçu sommaire aujourd’hui permettra de compléter les observations préliminaires que j’ai pu faire dans les précédents billets.
Rappelons que tous ces organismes ont vocation, que ce soit à titre principal ou à titre secondaire, à informer les citoyens sur le contenu et la signification des règles de droit, ainsi que sur le fonctionnement du système juridique.
Je me suis donc intéressée à la manière dont ils diffusaient de l’information juridique en complément de leur rôle principal. Par exemple, si la mission première des centres de justice de proximité est de recevoir les citoyens en consultation, de répondre à leurs questions et de les orienter vers les ressources adaptées à leur situation, cette mission s’accompagne d’une mission d’information plus large qui peut prendre plusieurs formes : séances d’information publiques, en personnes ou virtuelles, remise de dépliants, brochures et autres, ou encore orientation vers des ressources documentaires externes.
Évidemment, je cherchais à savoir quelle place les blogues juridiques occupent dans le quotidien des organismes voués à l’accès au droit et à la justice. Mais au-delà, je voulais savoir si ces organismes profitaient de leurs activités pour produire eux-mêmes de l’information et sous quelle forme, écrite, audio ou vidéo.
L’indépendance des centres de justice de proximité entre eux et des centres communautaires juridiques se ressent au niveau des pratiques en matière d’information juridique: elles sont très différentes d’un organisme régional à l’autre.
Quels sont alors les faits saillants ? Je les présenterai en 2 points distincts.
Concernant la diffusion d’informations juridiques
Plusieurs organismes diffusent des capsules ou chroniques juridiques visant à informer les citoyens, parfois en vulgarisant l’information. Les supports utilisés pour diffuser ces contenus sont assez variés :
- Guides et trousses d’information au format PDF accessibles sur leur site internet (centres de justice de proximité de Québec, du Grand Montréal),
- Infolettres dans lesquelles des cas sont abordés de façon accessible ou vulgarisée (Centres de justice de proximité : de la Gaspésie – îles de la Madeleine, de la Mauricie, de la Côte-Nord, de la Montérégie, et du Sagueney-Lac-Saint-Jean),
- Articles, publiés dans la revue en ligne Protégez-vous (Centres de justice de proximité du Bas Saint-Laurent, et de la Mauricie)
- Chroniques publiées directement sur le site internet de l’organisme (centres communautaires juridiques de l’Estrie, du Saguenay-Lac-Saint-Jean, du Bas-Saint-Laurent, de l’Outaouais, de la Mauricie-Bois-Franc, commission des services juridique) ou externe tel le blogue Soquij (centre de justice de proximité du Grand Montréal)
- Capsules ou quiz diffusés directement sur les réseaux sociaux : page Facebook (Centre de justice de proximité du Sagueney-Lac-Saint-Jean, clinique juridique de l’Uqam) Instagram (clinique juridique de l’Uqam)
- Chroniques radio (Centres de justice de proximité du Bas Saint-Laurent, et du Saguenay-Lac-Saint-Jean)
- Capsules vidéo disponibles sur You tube ou sur le site internet (centre de justice de proximité Nunavik, centres communautaires juridiques des Laurentides- Lanaudière)
- Capsules tévisées sur une chaine locale (Centres de justice de proximité de la Gaspésie – îles de la Madeleine, et de la Côte-Nord)
Comme cette énumération la laisse facilement voir, le blogue ne figure pas parmi les supports choisis par les organismes pour informer les citoyens. Mais je crois utile de faire une parenthèse à ce sujet.
En réalité, si l’on adopte une vue élargie de ce qu’est un blogue juridique en tant que support de diffusion par rapport au contenu publié directement sur un site internet, on peut considérer que 2 organismes publient des informations juridiques sous une forme largement apparentée au blogue, même si le mot n’est pas employé : La clinique juridique de Saint-Michel et le centre communautaire juridique du Saguenay-Lac-Saint-Jean. D’aucuns diront que cela n’a aucune importance, car après tout : qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Ils ajouteront sans doute qu’il y a peu de différence entre un blogue et la section d’un site internet dédiée à des chroniques juridiques. C’est presque exact d’un point de vue technique, mais assez éloigné de l’esprit des blogues en tant que format, qu’ils soient juridiques ou autre. Je m’explique : la notion de blogue qui me guide depuis le début de mes recherches correspond à la définition qu’en donnait le Grand dictionnaire terminologique avant 2018. Je l’ai souvent utilisée dans mes présentations et articles afin de souligner les éléments qui caractérisent les blogues et les distinguent d’autres types de contenus accessibles sur Internet:
Site Web personnel tenu par un ou plusieurs blogueurs qui s’expriment librement et selon une certaine périodicité, sous la forme de billets ou d’articles, informatifs ou intimistes, datés, à la manière d’un journal de bord, signés et classés par ordre antéchronologique, parfois enrichis d’hyperliens, d’images ou de sons, et pouvant faire l’objet de commentaires laissés par les lecteurs.
Aujourd’hui, la définition proposée par l’OQLF est beaucoup moins précise : Site Web ou section de site Web généralement tenus par une seule personne, consacrés à une chronique personnelle ou à une thématique particulière présentées sous forme de billets ou d’articles.
De fait, le format du blogue n’étant pas figé, il a évolué depuis ses origines au début des années 2000. La possibilité de commenter les billets, par exemple, s’est faite beaucoup plus rare, et tend aujourd’hui à disparaître complètement. Les notes de bas de page se répandent sur les blogues au détriment des hyperliens, ce qui en rend la lecture plus proche de l’article de revue en ligne. Par ailleurs, avec le développement de blogues professionnels, comme ceux des cabinets d’avocats, le ton personnel a parfois tendance à s’effacer au profit d’un style plus formel et détaché de la personnalité du blogueur. Mais l’essence du blogue demeure dans le paysage des blogues juridiques : liberté éditoriale, périodicité des publications, billets signés et datés, réaction à l’actualité.
Cette longue parenthèse se referme pour ouvrir, de manière plus spécifique, sur le rapport que les organismes entretiennent avec les blogues juridiques.
Concernant le rapport aux blogues
Les données récoltées au moyen du sondage ne reflètent pas avec précision la réalité des pratiques au sein d’organismes dans lesquels agissent parfois de nombreux intervenants. La ou les personnes ayant rempli le questionnaire au nom de l’organisme l’ont fait, semble-t-il, au meilleur de leur connaissance ou de leur propre pratique, ce qui ne permet pas de tirer de conclusions pour l’organisme en général. Il est même arrivé que plusieurs personnes au sein du même organisme répondent au questionnaire. Lorsque cela est pertinent, chaque réponse est comptabilisée et présentée par répondant plutôt que par organisme.
En outre, plusieurs questions n’ont malheureusement pas été renseignées par les répondants, ce qui limite parfois la portée de l’analyse. Le plus souvent, les noms des principaux blogues consultés par l’organisme ou conseillés aux citoyens n’ont, par exemple, pas été indiqués. Ces considérations méthodologiques n’empêchent toutefois pas de dégager certaines tendances riches d’enseignements.
En voici quelques-uns.
Dans l’ensemble les blogues ne font pas partie des outils qu’utilisent les membres des organismes pour s’informer sur l’état du droit et répondre aux questions des citoyens.
Plus précisément :
- 4 répondants ne consultent jamais de blogues juridiques pour s’informer et répondre aux questions des citoyens,
- 6 le font rarement
- 3 déclarent le faire parfois
- 6 en consultent souvent ou très souvent.
Les blogues que les organismes consultent le plus souvent sont :
- Le blogue Soquij
- Des blogues de cabinets d’avocats (sans autre précision)
- Le blogue du CRL
- Éducaloi
- Le blogue des Éditions Y. Blais
Les blogues ne font pas partie des supports d’informations conseillés aux citoyens.
Sur ce point le sondage confirme ce qui était observable empiriquement: les blogues juridiques ne font jamais partie de la liste des ressources informationnelles que dressent parfois les organismes sur leur site internet.
Ainsi, 6 répondants ne conseillent jamais de blogue juridique, 3 le font rarement, tandis que 7 le font parfois, et 2 répondants appartenant au même organisme disent le faire souvent.
4 organismes ont déjà songé à avoir leur propre blogue pour diffuser de l’information juridique, contre 5 organismes qui n’y ont jamais songé.
Pour 4 organismes les répondants ne savaient pas, mais avaient tout de même une idée des raisons pour lesquelles l’organisme n’envisageait pas le blogue comme un outil de diffusion de l’information.
Les raisons invoquées pour ne pas avoir de blogue sont : la méconnaissance de l’outil, le fait qu’il requiert trop de gestion, la mise en place informatique qui ne serait pas dans les priorités de l’organisme, le manque de ressources humaines et financières pour y consacrer le temps nécessaire, le fait que l’organisme offre un service d’information personnalisé qui explique et clarifie l’information déjà lue sur Internet.
Conclusion : les blogues sont des outils méconnus des organismes et qui gagneraient à être découverts
Le fait que les blogues soient des outils méconnus s’exprime de plusieurs façons dans les réponses au sondage.
Les blogues consultés ou conseillés qui ont été mentionnés par les répondants sont peu nombreux comparativement au nombre de blogues québécois actifs. Des grands noms sont cités, tels Soquij ou Éducaloi, dont la mission est officiellement orientée vers l’accès au droit et à la justice. Pourtant, les organismes auraient sans doute profit à utiliser et conseiller bien d’autres blogues d’intérêt parmi ceux des cabinets d’avocats par exemple. Ce n’est manifestement pas dans leurs habitudes, comme certains répondants l’ont bien mentionné. Une certaine défiance a également été soulignée à l’égard des blogues, dont la fiabilité ne peut pas toujours être évaluée, alors qu’il est rassurant de se tourner vers Soquij, Le Blogue CRL ou Éducaloi.
Par ailleurs, le sondage montre que les répondants n’ont pas tout à fait conscience de ce qui caractérise un blogue et à quoi cela peut servir. Lorsque les membres d’une clinique juridique ou d’un centre de justice de proximité estiment que le blogue est très éloigné de la mission de l’organisme, parce que celui-ci a pour vocation de répondre en personne à des questions individuelles, c’est qu’ils n’envisagent pas le blogue comme un outil complémentaire à cette mission. Pourtant, le blogue est susceptible de constituer une valeur ajoutée à la mission de ces organismes, s’il est utilisé pour en faire connaître les services et pour valoriser les réponses fournies aux citoyens en les transformant en informations juridiques contextualisées. Certains organismes l’ont d’ailleurs bien senti lorsqu’ils ont décidé d’utiliser des cas pour réaliser des chroniques diffusées via leur infolettre.
À cet égard, il est intéressant de noter que 7 organismes ont répondu que leurs membres, incluant les étudiant.e.s stagiaires, seraient tout à fait en mesure de rédiger des billets de blogue (de 700 à 1000 mots) qui viseraient à répondre aux questions qui leur sont le plus souvent posées en consultation.
Si bloguer leur paraît si chronophage, c’est qu’ils ignorent peut-être ce que requiert véritablement la gestion d’un blogue, et sa souplesse en tant qu’outil collaboratif. Plusieurs organismes rédigent et diffusent déjà des capsules qui pourraient facilement prendre la forme de billets de blogues, plus dynamiques, plus largement accessibles que les fichiers PDF mal référencés ou les infolettres au public limité. Mais il demeure vrai que la créatio, puis la gestion, d’un blogue requièrent un minimum de ressources qui ne sont peut-être pas toujours disponibles au sein de certains organismes.
De fait, plusieurs organismes, dont certains n’ont pas répondu au questionnaire, sont très créatifs et proactifs pour produire du contenu informatif à destination des citoyens. Un réinvestissement ou un élargissement de cet investissement dans le blogging juridique ne ferait qu’accroitre la valeur de leur précieux travail. À cet égard, la Commission des services juridiques pour les centres communautaires juridiques régionaux, et le Ministère de la justice, pour les centres de justice de proximité, auraient un rôle important à jouer pour organiser, centraliser et financer de telles initiatives.