Le blogging juridique ne connaît pas de répit, comme en témoigne la forme d’effervescence qu’a connu la blogosphère canadienne pendant les fêtes et dès les premiers jours de janvier. Je pense en particulier aux Clawbies ou encore à la série de billets sur Double Aspect sur le thème des juges dissidents à la Cour suprême. Juris Blogging était au contraire en retrait, sa dévouée profitant de véritables vacances en famille. Il est temps de reprendre un peu d’activité.
Mais la nouvelle année est là et, avec elle, sont lot de souhaits et de prédictions, ainsi que toutes sortes de bilans qu’a pu inspirer 2019. Dans ce billet, je voudrais évoquer quelques points particuliers qui s’inscrivent soit dans ce qui a précédé 2020, soit ce que l’on pourra attendre de cette nouvelle année.
Commençons par les Clawbies
En 2019 (décembre), les fameuses récompenses mettant de l’avant des blogues canadiens ont considérablement élargi la liste des supports d’expression à récompenser. Prenant acte de la prolifération des podcasts juridiques, les organisateurs des Clawbies, Steve Mattews en tête, avaient décidé de les mettre aussi de l’avant afin de valoriser le contenu ainsi diffusé par certains juristes. Désormais, les Clawbies récompensent toutes les autres formes de publication numérique provenant des membres de la communauté juridique canadienne. Cela inclut : des vidéos, des comptes sociaux, des bulletins d’information juridiques émanant des cabinets d’avocats, mais aussi les commentaires CanLII Connecte, des livres blancs, des comptes SSRN et enfin les chroniques de magazine en série. Comme à l’accoutumée, les nominations ont eu lieu au mois de décembre, essentiellement via Twitter. En participant de bonne grâce à ces nominations, j’ai souhaité rester fidèle à ce qui m’intéresse vraiment et dont j’ai fait ma spécialité : les blogues. Parmi les nombreux billets de qualité et d’intérêt que j’ai pu voir passer cette année et que j’ai relayés via la page Facebook de Juris Blogging, j’ai tenu aussi à souligner le travail de blogueurs québécois et francophones tant ils manquent, selon moi, de visibilité. Je remarque que peu de juristes québécois s’intéressent aux Clawbies (et donc à la blogosphère canadienne ?) et participent aux nominations de blogues ou autres supports numériques. J’observe aussi encore cette année l’absence de récompense, donc de reconnaissance par la communauté, de blogues juridiques écrit par des juristes travaillant dans la communauté juridique québécoise. Difficile aussi de ne pas regretter l’absence de récompense à un support numérique en français. Il faut le dire : s’il existe des blogues juridiques en français, bien que naturellement minoritaires en contexte canadien, il n’existe en revanche à ma connaissance pas (encore ?) de podcast en français (une chose est sûre, Lawblog.ca n’en recense pas).
Côté américain, Lexblog a lancé son premier concours de récompenses fin 2019. Les organisateurs ont choisi de souligner davantage la qualité rédactionnelle des billets plutôt que le blogue comme support, dans son ensemble. Il est vrai qu’à l’heure des blogues collaboratifs et des republications de billets, célébrer la plateforme plutôt que son contenu pourra souvent manquer de pertinence. De plus, mettre l’accent sur la rédaction et l’analyse est une belle manière de rappeler la valeur du contenu des blogues. Ainsi, le jury a distingué 21 billets blogues américains pour leur qualité exceptionnelle dans 6 catégories.
Poursuivons avec quelques tendances observées en 2019 dans la blogosphère canadienne
Le répertoire des blogues juridiques québécois devrait être mis à jour prochainement, mais on peut d’ores et déjà prédire que cette mise à jour ne traduira pas de grands mouvements dans la blogosphère québécoise qui reste relativement stable.
Certaines observations se répètent et je le regrette : les juristes bloguent peu sur le droit privé; il n’existe toujours pas de blogue s’intéressant sérieusement au droit de l’environnement ou de la conservation en général, et on sait gré à quelques cabinets d’avocats de fournir occasionnellement informations jurisprudentielles et analyses dans le domaine. De même, je saluais dans mes nominations aux Clawbies Option politique qui publie régulièrement d’intéressants billets sur le droit de l’environnement, le développement durable et le droit de l’énergie.
Sauf erreur, depuis l’arrêt Orphan de janvier 2019 la Cour suprême n’a pas eu l’occasion de rendre un jugement dans lequel elle s’appuyait sur des billets de blogues. Ce qui peut surprendre étant donné la forte visibilité que ceux-ci avaient eue dans la jurisprudence canadienne en 2018.
S’agissant des sujets de prédilection traités dans la blogosphère en 2019, je n’ai pas eu la chance de pouvoir en faire une revue rigoureuse et méthodique à l’échelle du Canada mais j’ai bien noté quelques sujets d’actualité brulante qui ont retenu l’attention des blogueurs et allant même parfois à les enflammer !
L’arrêt Jarvis a, par exemple, largement été commenté par les blogueurs, comme en témoignent les références suivantes :
Kristen Thomasen and Suzie Dunn, R v Jarvis – Location, equality, technology: What is the future of Privacy
Emily Laidlaw, R v Jarvis, A Technologically Mindful Approach to the Meaning of Reasonable Expectation of Privacy
Teresa Scassa, A contextual approach to the reasonable expectation of privacy: The Supreme Court of Canada’s decision in R. v. Jarvis
Léo Fugazza, R. c. Jarvis, 2019 CSC 10 – Quelle définition légitime de l’attente raisonnable de vie privée face au voyeurisme?
Saad Gaya, R v Jarvis: Carving out a Contextual Approach to Privacy
Fiona Morrow, Redefining our privacy expectations
David T.S. Fraser, Supreme Court of Canada lays down a very nuanced, contextual understanding of « expectation of privacy »
Maddie Axelrod and Elizabeth Creelman, Supreme Court of Canada finds teacher guilty of voyeurism for camera pen recordings
L. Campbell, A Reasonable Expectation of Privacy and the Criminal Code: Two Cases and a Sliding Scale
Le projet de loi 21 québécois a été lui aussi bien couvert par les commentaires des juristes blogueurs, comme je le montrais dans mon billet d’avril 2019. Outre les billets précédemment référencés, on peut ajouter que les articles 33 et 28 de la Charte ont fait couler des flots de pixels en 2019 en signalant ceux-ci :
Asher Honickman, Deconstructing Section 28
Mark Mancini and Geoff Sigalet, Constructive Shooting
Leonid Sirota, Shooting Gallery
Kerri A. Froc, Shouting into the Constitutional Void
Enfin, l’actualité de fin d’année a tôt fait de donner du grain à moudre aux blogueurs pour 2020 puisqu’ils n’ont pas manqué de s’emparer de l’important arrêt Vavilov pour le commenter :
Léonid Sirota et Mark Mancini, Tout nouveau, tout beau? et les références en fin de billet :
Mark Mancini, Vavilov: A Step Forward
Mark Mancini, Canada Post: Vavilov’s First Day in the Sun
Léonid Sirota, Not Good Enough
Mark Mancini, Vavilov: A Note on Remedy
Mark Mancini, Vavilov’s Reasonableness Standard: A Legal Hard-Look Review
Mark Mancini, After Vavilov, Doré is Under Stress
Mark Mancini, CBC v Ferrier, 2019 ONCA 1025: Considering Consideration of the Charter
Léonid Sirota, Chevron on 2
Patricia Hughes, Applying Vavilov: Canada Post and Health and Safety
Michael Swanberg, The Supreme Court’s Decision in Vavilov: A New Framework for Reasonableness Review
Ewa Krajewska and Mannu Chowdhury, Canada (Minister of Citizenship and Immigration) v. Vavilov: a practical guide to the revised standard of review analysis
Paul Daly, The Vavilov Framework I: Selecting the Standard of Review
Paul Daly, The Vavilov Framework II: Reasonableness Review
Paul Daly, The Vavilov Framework III: Precedent
Paul Daly, The Vavilov Framework IV: Remedial Discretion
Paul Daly, The Vavilov Framework V: Concluding Thoughts
Ces observations à la volée rappellent, sans qu’il en fût besoin, que les blogues juridiques sont les supports les plus appropriés pour diffuser commentaires et analyses d’experts sur des sujets d’actualité et d’intérêt général. Je continue donc de penser que les blogues méritent toujours autant d’attention et de respect en tant que source documentaire du droit et espère que ce format ne sera pas délaissé par les juristes au profit des vidéos et des podcasts. En 2020, je demeure en effet convaincue des vertus irremplaçables de l’écrit pour exprimer une pensée ou une analyse sur le droit. J’ajouterais que parmi la multitude croissante d’écrits juridiques sous forme numérique, les blogues conservent leur spécificité, leur originalité et donc tout leur intérêt. Le format court et généralement accessible des billets de blogues fait partie de ces spécificités sur lesquelles je crois devoir insister.
Juris Blogging en 2020 ?
2020 a bien débuté pour le blogging juridique mais aussi pour Juris Blogging puisque j’ai eu la chance de recevoir une subvention de recherche de la Fondation du Barreau pour travailler sur la question suivante : Les blogues juridiques ont-ils un rôle à jouer dans l’accès au droit et à la justice ?
Je me propose de cerner dans quelle mesure la multiplication des blogues juridiques et leur reconnaissance officielle comme source secondaire du droit sont des facteurs qui peuvent contribuer à un meilleur accès à la justice et au droit. En effet, si la documentation juridique et la doctrine sont plus que jamais accessibles aux justiciables par Internet, elle n’est pas pour autant plus intelligible. Or, les blogues juridiques sont souvent plus intelligibles aux non-juristes que les autres supports. Par exemple, les avocats bloguent souvent pour faire la promotion de leurs services et de leur expertise. Leurs billets s’adressent à des clients potentiels afin de les informer, de manière vulgarisée, sur l’état du droit relatif à une question relevant de leur domaine d’expertise et de pratique.
Plus spécifiquement, la recherche vise à documenter l’impact du blogging juridique sur l’information juridique des citoyens en général, et sur leur accès au droit et à la justice en particulier. Les résultats permettront notamment, on l’espère, d’orienter la pratique du blogging juridique de manière à la rendre plus pertinente et efficace du point de vue de l’accès à la justice. Une meilleure connaissance de l’impact des blogues par les avocats, les professeurs et les étudiants blogueurs semble un gage de leur utilité future.
Enfin, en 2020, l’avenir de Juris Blogging sera largement questionné. J’envisage d’établir le plus rapidement possible (lire à une date plus qu’indéterminée ) un questionnaire destiné aux blogueurs et aux lecteurs de blogues afin de savoir le plus précisément possible ce qu’ils attendent de Juris Blogging, ce qu’ils aimeraient y lire, y apprendre, de quels outils et informations auraient-ils besoin etc.
Je suis en effet convaincue que mon blogue doit changer, évoluer, s’adapter ou disparaître, et ceux auxquels il est destiné seront amenés à se prononcer.